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Encore
en vie d'attendre
On
est souvent aveugle et sourd à l’évocation de la mort.
On ne veut pas voir la mort ni celle de nos proches ni la nôtre.
Ni même celle de corps étrangers.Aveugle et sourd, nous passons
pourtant d’une action à une autre. Entre ces moments d’actions
et de mouvements, des moments d’attente.Ainsi, chaque jour, depuis
notre naissance jusqu’à notre mort, nous attendons. Notre
vie est ponctuée de moments d’attente. Mais qu’attendons
nous exactement ?
J’attends
un train, un bus, un je ne sais exactement quoi, le bon moment, …D’autres
attendent un enfant, l’ascenseur, que le feu passe au vert, …
A-t-on
envie d’attendre ou est-on en vie d’attendre ?
Toutes
ces attentes permettent-elles d’attendre la mort avec plus d’insouciance,
plus de liberté, plus de tranquillité, plus de sens, plus
de vie ? Toutes ces attentes permettent-elles d’être aveugle
et sourd à l’idée de notre propre mort ?
Ou bien
avoir conscience que nous attendons finalement notre propre mort. Cela
nous permet-il d’avoir une meilleure conscience de la vie, une soif
de regarder, de profiter de chaque instant, même dans l’attente.Avoir
enfin la patience d’attendre.
Dans
mes actions et mes attentes sur plusieurs semaines, j’ai pris des
photos numériques et chercher des sons afin d’illustrer des
expressions de situation d’attente.
Le tableau
interactif ensuite composé est sûrement le reflet de ma perception
de l’attente, ma perception de la vie et de la mort.
A
vous de voir et d’écouter …
Quelques
définitions (Petit Robert)
Etre
aveugle
1. Qui est privé du sens de la vue
2. Dont la raison, le jugement est incapable de rien discerner.
3. Qui ne laisse pas passer le jour
Etre
sourd
1. qui perçoit mal les sons ou ne les perçoit pas du tout.
2. qui refuse d’entendre, de comprendre, de prendre en compte, qui
reste insensible à.
L’attente
1. Le fait d’attendre ; temps pendant lequel on attend.
2. Etat de conscience d’une personne qui attend.
3. Le fait de compter sur quelque chose ou sur quelqu’un
Attendre
1. Attendre quelque chose, quelqu’un : se tenir en un lieu où
une personne doit venir, une chose doit arriver ou se produire et y rester
jusqu’à cet événement.
2. Attendre (quelque chose, quelqu’un) pour : rester dans la même
attitude, ne rien faire avant (que quelque chose ou quelqu’un arrive)
La mort
Cessation définitive de la vie (d’un être humain, d’un
animal et par extension de tout organisme biologique)
1. Cessation de la vie considérée comme un phénomène
inhérent à la condition humaine ou animale.
2. Fin d’une vie humaine (ou animale), circonstance de cette fin
3. Fin provoquée
4. Terme de la vie humaine considéré dans le temps.
5. Arrêt complet et irréversibles des fonctions vitales (d’un
organisme, d’une cellule) entraînant sa destruction progressive
La mort
apparente : arrêt temporaire ou ralentissement extrême
des fonctions cardiaques et respiratoires.
La mort
relative, clinique : constatée par un examen clinique, correspondant
à un arrêt momentané des fonctions vitales
La mort
cérébrale : cessation de l’activité électrique
de l’encéphale mise en évidence par un électro
encéphalogramme plat.
Mourir
1. Cesser de vivre, d’exister, d’être
2. Dépérir
3. Eprouver une grande affliction
Et pour finir sur
les définitions,
voici la définition officielle de la mort en France.C'est celle
de la Circulaire Jeanneney n° 27 du 24/04/1968, qui, en fait, reprend
mot à mot la description de Mollaret et Goulon de 1959, avec ces
trois conditions :
1. la constatation des quatre signes fondamentaux :
a. abolition contrôlée de la respiration spontanée
b. abolition de toute activité des nerfs crâniens
c. perte totale de l'état de conscience, à l'exception des
réflexes du tronc et des membres d. un électroencéphalogramme
plat pendant trois minutes.
|
2. l'élimination
des étiologies simulatrices comme intoxication, hypothermie,
troubles métaboliques ...
3.
un délai d'observation minimum, mais variable selon l'étiologie,
où ces signes sont constants.
|
A bien relire toutes
ces définitions, notre esprit ne peut-il que rester sourd et aveugle
face à la mort.
Comment notre raison
est-elle capable de discerner notre propre mort et ses implications ?
Comment ne pas refuser d’entendre que l’on va un jour mourir
?
Tant que j’attends, je suis consciente, vivante.
Et en même temps, je sais que la mort est une chose qui doit arriver,
qui va se produire. Je reste donc en vie jusqu’à cet événement.
Comment appréhender la cessation de la vie alors que ne connais
que la continuité de la vie ?
Comment accepter
cette succession d’adjectifs : la mort qui passe d’apparente,
à relative, clinique, puis cérébrale ?
Et
s’il fallait tout simplement mourir en C
Il y
a peu je me suis aperçue que j’étais aveugle et sourde
à l’idée de ma propre mort.
Que j’étais incapable d’en donner une matérialité
ou non matérialité.Pourquoi ? Est-ce dû à nos
sociétés occidentales qui ont fait de la mort un tabou.
Notre
société, animée par une peur incontrôlée
de l’inconnu, s’emploie à occulter chaque jour de plus
en plus la mort dans nos paysages.
La mort est repoussée derrière les grilles de l’hôpital,
loin du regard des vivants. On ne voit plus de rideaux noirs aux portes
des immeubles, aux portes des maisons, y annonçant la mort et le
deuil. Il n’y a plus de corbillard. La mort est devenue invisible.
La mort
est devenue irréelle. Combien de reportages, de films vus avec
des corps agressés, des corps transpercés d’une balle,
des corps violentés, blessés, éclaboussés
de sang… Comment y croire encore, avec ce bombardement de morts
vus à la télé, au cinéma dans un cycle qui
ne cesse de se répéter, sans fin.
Toutes ces images imposées conduisent à une certaine irréalité
du corps mort et nos mémoires sont jonchées de corps morts,
accumulés sans plus aucune épaisseur ni émotion.
Le deuil
lui aussi ne se montre plus, ne se vit plus.
Il n’y a plus de jeunes veuves endeuillées. Le repas de funérailles
est remplacé par un simple café au comptoir du bar, au coin
du cimetière. Le travail nous happe dès le lendemain ou
surlendemain d’un décès
.Le deuil,
tout comme la mort, est invisible. Pourtant la mort se joue autant pour
le mort que pour les vivants.
Il
semble aussi que nous oublions qu’il n’y a pas d’âge
pour mourir. Les « vieux » ne sont pas les seuls potentiellement
« futurs ou bientôt morts »
Notre
vie est mortelle à tout instant.
Alors
à penser que ma vie est mortelle me donne sûrement beaucoup
d ‘énergie. Je suis sourde et aveugle à la mort, à
la non vie. Par contre j’aime regarder la vie, écouter le
silence des respirations, profiter de chaque instant, même dans
l’attente.
Je deviens
une obsédée de la vie plutôt que de la mort.
Toutes
mes attentes, entremêlées de mouvements d’actions,
me permettent « d’attendre la mort » avec plus de vie,
encore plus d’envie.Des images s’accumulent pour que je m’en
souvienne.
Memento Mori, Souviens toi que tu est mortel
Souvenir
n°1
Au temps des Egyptiens, un Livre des Morts, rouleau de papyrus, était
déposé dans les tombes des défunts. Un mode d'emploi
permettait au défunt de pouvoir passer les épreuves et d'atteindre
l’au-delà et la félicité après la mort.
Il retranscrit ainsi une série de
croyances liées au culte funéraire et à la vie dans
l’au-delà
.Le livre des morts est un recueil de formules magiques.On y trouve une
formule pour empêcher de se décomposer, une formule pour
vivre de la brise, une formule pour que le mort se transforme en ce qui
lui plaît, une formule pour ne pas mourir à nouveau et disparaître.
Formule pour ne pas mourir à nouveau et disparaître
Chapitre 44 du Livre des Morts – 300 av. JC
Souvenir
n°2
La mort au 16e siècle était une compagne de chaque jour.
Elle devenait pourtant dès cette époque difficile à
regarder, introduisant par là notre refus moderne de la mort.
L’œuvre de Hans Holbein est particulièrement révélatrice
de ce que nous ne voulons pas voir en face.
La mort y est portée comme une ombre qui rôde, cachée,
déformée, dissimulée par le moyen d’une anamorphose
placée entre les deux ambassadeurs.
Pour voir l’image du crâne, il faut se porter à droite,
à environ 1m50 parallèlement à de la surface du tableau.
Les ambassadeurs- Hans Holbein le Jeune – 1533
Cette
peinture présente comme dans les vanités, en plus du crâne,
un luth dont une des cordes a sauté.
Souvenir
n°3
Les vanités sont un type de peintures illustrant de façon
symbolique le thème philosophique de l’inéluctabilité
de la mort, de la fragilité des biens terrestres et de la futilité
des plaisirs à travers le représentation de natures mortes.
Elles deviennent un genre pictural en soi au cours du XVIIe siècle
au Pays Bas en développant tout un répertoire de symboles.
Il
existe tout un répertoire iconographique autour des vanités
pour symboliser les arts et la science : des livres, des cartes, des instruments
de musique ; pour symboliser la puissance et la richesse : la bourse et
les joyaux ; pour symboliser des plaisirs terrestres : les cartes à
jouer, le gobelet ; et enfin pour symboliser la mort dans ces peintures
: le crâne, les fleurs fanées, les fruits pourrissants, le
verre vide, la bulle de savon ou la boule de verre, des chandelles déjà
consommées, des violons ou luths aux cordes rompues, le sablier.
Vanité - Philippe de Champaigne- 1645
Souvenir
n°4
Still Life de Sam Taylor-Wood est une installation, vue à la Tate
Modern Gallery. Cette installation « vidéo » (images
photographiques montées en vidéo de 3 minutes et 44 secondes)
exprime autrement cette rencontre avec la mort.
Une soucoupe de fruits est filmé au cours du temps. Ainsi, on assiste
de manière accélérée à sa lente décomposition,
à sa putréfaction jusqu’à l’apparition
de petites créatures volantes et noires, bourdonnant autour de
la soucoupe et des fruits pourris. J’en ai encore le souvenir de
ces petites bêtes.
Seul
le stylo bic reste inchangé.
Still Life- Sam Taylor-Wood - 200135mm Film/DVD
Souvenir
n°5 (horrible souvenir visuel)
La maîtrise du processus de décomposition a toujours été
une préoccupation. On empêche la décomposition en
utilisant un grand nombre de technique comme la momification, l’embaumement,
la thanatopraxie, la plastination ou la cryogénisation.
Alors
que la thanatopraxie consiste en redonner au cadavre l’apparence
de la vie par une série d’injections, de massages et de soins,
Gunther Von Hagens prend une position extrême avec sa technique
de plastination. Il remplace dans des cadavres les liquides contenus dans
les tissus par une matière plastique.
Les cadavres sont ensuite exposés aux curieux.
Gunther Von Hagens
Ces plastinations ont été exposés dans des musées
(Fukuoka, Mannhein) , dans des foires (Vienne, Bâle) …
Souvenir n°6
Cette position totalement radicale va à l’encontre d’autres
artistes, comme par exemple Andres Serrano, qui avec son œuvre The
morgue, présente des photographies de cadavres anonymes. Son objectif
est de saisir les couleurs de la vie.
Andres Serrano tente de fixer ce qui peut donner l’impression de
la vie dans un corps mort et ce qui, d’une certaine manière,
repousse l’échéance de la mort elle même.
Prise
isolément, cette petite main photographiée m’évoque
la main d’un bébé toute fripée, l’enfant
sortant du bain.
The Morgue – Andres Serrano - 1991
Souvenir
n°7
Le mort est celui que l’on attend plus dans le monde réel
et matériel.On peut garder des « ex vivants » des reliques
comme quelque chose qui leur appartient. La relique permet de conserver
un objet, une bride, un souvenir qui symbolise le disparu.
Christian
Boltanski présente dans son installation La Réserve du Musée
des Enfants une accumulation de vêtements d’absents, de disparus.
Ces vêtements peuvent être comparés à des dépouilles,
à des corps vides et dénués de vie, à des
enveloppes.
La Réserve du Musée des Enfants – Christian Boltansky
- 1989
Loin du souvenir, l’éternelle impossibilité
Impossibilité physique de la mort dans l’esprit d’un
être qui vit.
Cette œuvre de Damien Hirst nous renvoie au fait que même face
à un prédateur comme le requin, « conservé
» dans une solution de formaldéhyde, même face à
la mort nous sommes dans l’impossibilité de penser, d’imaginer,
de ressentir physiquement, avec nos sensations ce que peut être
la mort.
La
mort en devient alors indescriptible, impossible et indicible.
The Physical Impossibility Of Death In The Mind Of Someone Living
Damien Hirst. 1991
Alors,
avec toutes ces images en tête pour me souvenir que je suis mortelle,
que je ne suis que poussières.
Admettons,
mais alors quel type de poussières ?
Depuis
peu une entreprise de pompes funèbres américaines propose
la métamorphose des cendres du disparu … en diamant. Ainsi,
la société s’applique à chauffer et à
compresser l’infime partie de carbone issu d’un corps incinéré
pour en faire des pierres précieuses (voir le
site Web). Ainsi, de « tu es poussière et tu retourneras
dans la poussière » pourrait de venir « tu es poussière
et tu deviendras diamant » .
Pour
Hubert Reeves, « la mort , c’est l’arrêt des échanges
avec le monde extérieur. Comme le noyau atomique, l’animal
mort n’est plus que la somme des particules qui le constitue…
Tous les noyaux d’atomes qui nous constituent ont été
engendrés au centre d’étoiles mortes il y a plusieurs
années, bien avant la naissance du soleil. Nous sommes en quelques
sorte les enfants de ces étoiles …
On m’a dit tu n’es que cendres et poussières. On a
oublié de me dire qu’il s’agissait de poussières
d’étoiles ».
Ainsi,
je préfère à penser que nous deviendrons des poussières
d’étoiles plutôt que des poussières de diamant.
Pourquoi
?
Pour avoir enfin la patience d’attendre. La patience dans l’azur
…
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